Il y a
belle lurette que le poil est pris en aversion. Rasé, coupé, arraché, le poil
est considéré comme un parasite à la beauté. Son extermination se fonde sur une
esthétique totalitaire : je vous en prie, ne dévoilez point une parcelle
de naturel ! Construisez votre beauté sans en exposer les racines, comme
un artiste cache ses brouillons pour se faire passer pour un génie ! Ce
que vous a donné la nature est laid, sale, d’une telle vulgarité qu’il faut en
détruire toute trace.
Dans Huit bouffées de sagesse papaoute
(éditions Gros texte), Karin Huet fait l’éloge d’un poil trop souvent
dégradé :
« Le poil allie l’agréable à l’utile. Il charme presque tous les sens. Beauté graphique du triangle pileux pubien qui, en sus de sa fonction de frotadou érotique, se fait admirer par la netteté de son dessin et, souvent, le contraste de sa couleur avec sa carnation. Telle une pointe de flèche, il conduit le regard vers les parties génitales. Odeur fascinante des aisselles : grâce au filet à sueur de leurs poils, ces tièdes retraits sont de vraies cassolettes à parfum. Douceur des longs cheveux qui vous caressent les épaules à chaque pas et vous frôlent le dos. Frémissement du duvet sur les avant-bras ou sur l’arrière des cuisses, amplifiant et nuançant le chatouillis de la moindre brise sur la peau. Et pour l’œil, évoquant une gracieuse prairie de graminées qui frissonnent sur le grand corps de la Terre ».
Bien que
l’épilation s’applique de plus en plus aux hommes, le poil, à l’exception de la
chevelure, reste associé à la seule virilité. A condition, par pitié, que le
dos de ces messieurs ne soit pas velu. Tandis que les femmes font tous les
efforts possibles pour ne rien laisser dépasser de leur maillot, alors qu’elles
sont aussi bien dotées que les hommes de toison pubienne.
Certes, les
femmes sont moins pourvues de poil que les hommes, mais il leur faut donner
l’impression qu’elles sont nées sans pilosité. Ce tour de magie est une
véritable perte de temps (imaginez le nombre d’heures que vous auriez pu passer
à lire Simone de Beauvoir !), et d’argent (beaucoup d’argent). A la limite
du sadomasochisme. Oh oui j’aime me faire mal.
Il est vrai
qu’on vous a toujours appris à détester le poil. Quand vous passez devant un
prétendu « salon de beauté » qui n’a d’autre objectif que de rendre
votre corps plus nu encore. Quand vous admirez de belles publicités
photoshoppées où la pilosité est bannie. Quand les acteurs porno vous
transmettent une image de la sexualité fantasmée, et surtout non velue (en
général).
Plutôt qu’un
manifeste du poil, cet article est un appel à la tolérance, un cri pour limiter
la déforestation qui ravage votre peau. Comme moi, vous allez, pour la plupart
d’entre vous, continuer à vous épiler, parce qu’il est plus confortable et
sécurisant de se conformer aux exigences esthétiques. Et puis pour pécho à
Sciences Po, c’est plus facile. Tu vois, j’ai tellement peur qu’on me voie
comme un être humain velu (et j’ai tellement envie de pécho) que je ne signe
pas.
C’est ça
être féministe aussi. C’est pointer du doigt les clichés qui me hantent,
traquer les constructions sociales et esthétiques qui s’amoncellent dans mon
putain de crâne, et qui me pousse à les concrétiser de manière ridicule. C’est
avouer les faiblesses de l’application de mes idées afin qu’à terme, j’en aie
suffisamment honte pour gerber dessus et les anéantir (pas les poils hein).
Donc de
grâce, lorsque vous apercevrez un vestige de pilosité de l’une de vos amies
qui, en maillot de bain, écarte nonchalamment les jambes pour se mettre à
l’aise, ravalez votre « elle est dégueu » pour, par exemple, vous
dire « comme sa toison pubienne est sensuelle ! », « comme
ses longs poils sur les jambes lui tiendront chaud l’hiver ! »,
« comme ses dessous de bras ont l’air confortables et
chaleureux ! ». Respectez celles et ceux qui n’ont pas qu’ça à faire
que de se dépouiller de leur pelage.
Et puis, si
l’envie vous prend de vous pencher sur l’absurdité de cette déforestation,
(re)découvrez sans complexe le plaisir de la pilosité. Faites pas genre que
c’est pour gagner en aérodynamisme dans l’eau de la piscine, ou pour que vos
aisselles dorent plus aisément l’été sur la plage.
« Quel bel emblème que le poil ! Toujours disponible, enraciné dans le corps à de multiples exemplaires : étendard des cheveux, fanions des aisselles et, surtout, la toison ! Drapeau qui ne retranche pas l’homme dans un chauvinisme étroit mais au contraire exalte et affiche la diversité. Drapeau aux aspects variés, frisé, raide, ondulé, crépu, bouclé, fin, épais. Drapeau de tous poils, brun, roux, blond, châtain, poivre et sel ou drapeau blanc. Drapeau de paix ».
Allez, tous
à poil et on se caresse.
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