samedi 17 octobre 2015

L'avortement au Chili, quand les droits des femmes sont un crime

De nombreux pays interdisent encore strictement l'avortement sous toutes ses formes, y compris l'avortement thérapeutique. Le Chili fait partie de ces pays qui ne reconnaissent pas le droit des femmes à disposer de leur propre corps. Vous avez peut-être entendu parler de cette campagne qui vise à montrer comment font les femmes chiliennes pour avorter... Une campagne choquante qui permet de réaliser que des droits qui sont acquis pour nous français-e-s ne le sont pas partout dans le monde. 



Cet article est un résumé d'une conférence organisée par l'Observatorio Regional de Equidad en Salud según Género y Pueblo Mapuche, suite à la publication d'un livre de recherche sur l'avortement au Chili. Elle fut l'occasion de faire le point sur la situation actuelle de l'avortement au Chili et sur le mouvement féministe. (Tous les propos et/ou affirmations tenus ici sont assumés comme l'avis évidemment subjectif des intervenantes de la conférence)

Au jour d'aujourd'hui, l'avortement est totalement interdit au Chili. Par totalement interdit, il faut préciser: il n'est pas possible de le faire librement et anonymement, pas possible non plus de le faire en cas de viol, en cas de danger de mort de la mère, en cas de maladie grave du foetus, en aucun cas. La loi originelle sur la question précisait d'ailleurs qu'une femme devait accoucher même si ça devait lui couter la vie, toutefois cette phrase était tellement violente qu'elle n'a pas été inscrite. 
 Il n'en reste pas moins qu'elle est appliquée dans les faits.



La détermination à considérer l'avortement comme un crime amène à des atrocités « médicales »  à peine croyables. Par exemple, quand une femme porte en son ventre un foetus mort avant l'accouchement, les médecins se refusent à retirer le cadavre, de peur d'être accusés ensuite d'avoir pratiqué un avortement, de ne pas réussir à prouver que le fœtus était mort avant l'opération. Un médecin risque jusqu'à 10 ans de prison s'il est jugé coupable d'avoir pratiqué un avortement. En conséquence, dans la grande majorité des cas, les femmes doivent expulser "naturellement" le corps.. Même si ce sera seulement des semaines voire des mois plus tard. 
 Il existe la pilule du lendemain, mais ce n'est qu'une forme de contraception tardive, puisqu'il faut savoir avoir pris un risque immédiatement après l'acte sexuel ou presque pour espérer l'utiliser à temps. De plus, l'accès à la pilule du lendemain nécessitait d'avoir porté plainte pour viol jusqu'en 2013. Si actuellement, elle est en libre accès, son coût reste élevé (10,000 pesos soit environ 13 euros) et surtout son usage n'est pas entré dans les moeurs- du moins son existence est inconnue par toute une partie de la population.
Cet état de fait légal n'empêche bien sûr pas que l'avortement soit pratiqué: sont estimés à environ 100,000 par an les avortements clandestins.


Mais actuellement, une loi est en débat, et provoque une polémique qui commence à scinder en deux la société chilienne: cette loi serait un premier pas, bien sûr bienvenu, mais loin d'être suffisant
En effet, cette loi devrait légaliser l'avortement en cas de viol. L'accès à l'avortement légal impliquera le lancement d'une procédure judiciaire avec une plainte pour viol, et ce, dans un délai de14 semaines. Pour bien comprendre cette information : une femme violée doit admettre son viol, admettre être enceinte , en parler autour d'elle a ses proches et l'assumer publiquement auprès des forces de l'ordre afin de pouvoir attendre une décision de Justice pour obtenir le droit de se faire avorter. On serait encore bien loin de reconnaitre les droits des femmes à disposer de leurs corps. 
Par ailleurs, outre ces critiques sur la procédure, sur les 100,000 avortements clandestins pratiqués par an, il est estimé que cette loi va légaliser seulement 2700 avortements, soit 3 pour 100. Une toute petite partie donc.

Pourtant la nécessité d'une loi sur l'avortement devient de plus en plus pressante. L'augmentation du flux migratoire des campagnes vers les villes implique une paupérisation des nouvelles et nouveaux habitant.e.s, parqué.e.s dans les périphéries pauvres. Les avortements clandestins n'en sont que plus dangereux, le nombre de femmes mourant en se faisant avorter allant en augmentant depuis plusieurs années.


L'histoire de l'avortement au Chili est pourtant ancienne: les suffragettes chiliennes le défendaient déjà, et grâce à leurs mobilisations, un congrès médical avait eu lieu à Valparaiso en 1936 (!), pour parler de l'avortement thérapeutique. La conclusion de ce congrès était que la légalisation de l'avortement thérapeutique serait une manière de diminuer la mortalité pour des femmes qui, qu'on le reconnaisse ou pas, pratiqueront l'avortement. En conséquence une loi avait été déposée, loi qui n’avait pas été adoptée, de justesse, faute d'une alliance politique assez forte. 
Néanmoins si ce fut un échec parlementaire, il apparait clairement que le tabou était moins fort, les revues et les médias de l'époque en parlaient en effet bien plus librement qu'aujourd'hui. 



Ce qui pèse actuellement dans l'opposition à l'avortement, c'est notamment l'Eglise Catholique. Sa force politique est énorme, tant au travers des partis politiques que de par sa capacité à organiser la lutte réactionnaire à l'échelle nationale. Que ce soit le Pape a Philadelphie il y a peu, rabâchant le premier péché, la femme forçant l'homme à trahir sa parole devant Dieu en mangeant la pomme, ou que ce soit plus concrètement, comme par exemple les organisations catholiques en Bolivie qui organisent des actions au travers des prêtres pour maintenir une pression permanente sur le gouvernement contre les avancées féministes, l'Église est l'ennemie la plus organisée contre les droits des femmes sur le continent. 



Mais, même en imaginant qu'il y ait une pression de la rue, une majorité favorable au Parlement et toutes les formes de mobilisations nécessaire pour que la loi passe, reste un problème: il faut passer par le Tribunal Constitutionnel avant proclamation de la loi. Or, cette institution est moins juridique que politique. Héritage de la dictature, le Tribunal Constitutionnel lutte toujours contre toutes nouvelles libertés, il a été pensé comme un gardien du conservatisme. Il y a donc peu de chance qu'il valide cette loi sur l'avortement.

Le mouvement féministe, dans ce débat, se doit d'enrichir les connaissances, de déconstruire les stéréotypes, en bref, de convaincre. Une thématique semble ressortir: le mouvement féministe est assez profondément anti-médical.  Beaucoup de chilien.ne.s ont en tête que les femmes qui, à cause de complications dues à un avortement clandestin, doivent aller à l'hôpital, et se font molester et violenter par les médecins. 
Si ces violences existent, le corps médical est loin d'être unanimement anti avortement. Les réseaux féministes pratiquant des avortements clandestins ont des contacts avec des médecins, en cas d'urgence, et les études sur les opinions à propos de l'avortement montre qu'une grande part du corps médical est en faveur d'une légalisation. D'ailleurs, ici à Temuco (la ville), le Directeur de l'Hôpital avait pris position publiquement pour l'avortement, impulsant le débat à un moment où il était inexistant.


Un mouvement politique plus large, de défense d'une nouvelle Constitution pour le Chili, semble être rallié par de plus en plus de féministes. En effet, non seulement une nouvelle constitution serait l'occasion de parler de l'avortement, mais ce serait également l'occasion de parler de l'éducation sexiste et hétéronormée. Car outre la nécessité de détruire le Tribunal Constitutionnel, il faudrait aussi terminer de séparer l'Etat de l'Eglise, pour empêcher des censures au débat et des blocages institutionnels réactionnaires. Un exemple local est donné: l'Université Catholique de Temuco empêche toutes formes de prise de position, censurant toutes conférences, atelier ou réunions sur le sujet- sauf quand ce sont des anti-avortement qui s'exprime. (Fait pas si anecdotique : le Directeur de l'Université Catholique de Temuco est par ailleurs l'Évèque..) Les débats sur une nouvelle constitution permettent aussi de prendre en compte la dimension Mapuche (les nati.ve.fs amérindien.ne.s de la région) du problème: en effet, le peuple Mapuche subit une discrimination raciste par rapport à l'État Chilien, ce qui aggrave encore la situation pour les femmes Mapuche. 



En gros: éduquons nous sur la santé sexuelle, éduquons nous sur le sexisme et ces ressorts, et surtout luttons ! Parce que si cette loi est loin d'être exemplaire, il faut bien commencer quelque part, alors allons y franchement :) .



                                               Résumé de conférence écrit par Corentin Castillo, corrigé par Lorenza Vincent-Lasbats