mardi 11 novembre 2014

« APOAL », CRI DE SAGESSE PAPAOUTE


Il y a belle lurette que le poil est pris en aversion. Rasé, coupé, arraché, le poil est considéré comme un parasite à la beauté. Son extermination se fonde sur une esthétique totalitaire : je vous en prie, ne dévoilez point une parcelle de naturel ! Construisez votre beauté sans en exposer les racines, comme un artiste cache ses brouillons pour se faire passer pour un génie ! Ce que vous a donné la nature est laid, sale, d’une telle vulgarité qu’il faut en détruire toute trace.

Dans Huit bouffées de sagesse papaoute (éditions Gros texte), Karin Huet fait l’éloge d’un poil trop souvent dégradé :
 « Le poil allie l’agréable à l’utile. Il charme presque tous les sens. Beauté graphique du triangle pileux pubien qui, en sus de sa fonction de frotadou érotique, se fait admirer par la netteté de son dessin et, souvent, le contraste de sa couleur avec sa carnation. Telle une pointe de flèche, il conduit le regard vers les parties génitales. Odeur fascinante des aisselles : grâce au filet à sueur de leurs poils, ces tièdes retraits sont de vraies cassolettes à parfum. Douceur des longs cheveux qui vous caressent les épaules à chaque pas et vous frôlent le dos. Frémissement du duvet sur les avant-bras ou sur l’arrière des cuisses, amplifiant et nuançant le chatouillis de la moindre brise sur la peau. Et pour l’œil, évoquant une gracieuse prairie de graminées qui frissonnent sur le grand corps de la Terre ».

Bien que l’épilation s’applique de plus en plus aux hommes, le poil, à l’exception de la chevelure, reste associé à la seule virilité. A condition, par pitié, que le dos de ces messieurs ne soit pas velu. Tandis que les femmes font tous les efforts possibles pour ne rien laisser dépasser de leur maillot, alors qu’elles sont aussi bien dotées que les hommes de toison pubienne.

Certes, les femmes sont moins pourvues de poil que les hommes, mais il leur faut donner l’impression qu’elles sont nées sans pilosité. Ce tour de magie est une véritable perte de temps (imaginez le nombre d’heures que vous auriez pu passer à lire Simone de Beauvoir !), et d’argent (beaucoup d’argent). A la limite du sadomasochisme. Oh oui j’aime me faire mal.

Il est vrai qu’on vous a toujours appris à détester le poil. Quand vous passez devant un prétendu « salon de beauté » qui n’a d’autre objectif que de rendre votre corps plus nu encore. Quand vous admirez de belles publicités photoshoppées où la pilosité est bannie. Quand les acteurs porno vous transmettent une image de la sexualité fantasmée, et surtout non velue (en général).

Plutôt qu’un manifeste du poil, cet article est un appel à la tolérance, un cri pour limiter la déforestation qui ravage votre peau. Comme moi, vous allez, pour la plupart d’entre vous, continuer à vous épiler, parce qu’il est plus confortable et sécurisant de se conformer aux exigences esthétiques. Et puis pour pécho à Sciences Po, c’est plus facile. Tu vois, j’ai tellement peur qu’on me voie comme un être humain velu (et j’ai tellement envie de pécho) que je ne signe pas.  

C’est ça être féministe aussi. C’est pointer du doigt les clichés qui me hantent, traquer les constructions sociales et esthétiques qui s’amoncellent dans mon putain de crâne, et qui me pousse à les concrétiser de manière ridicule. C’est avouer les faiblesses de l’application de mes idées afin qu’à terme, j’en aie suffisamment honte pour gerber dessus et les anéantir (pas les poils hein).

Donc de grâce, lorsque vous apercevrez un vestige de pilosité de l’une de vos amies qui, en maillot de bain, écarte nonchalamment les jambes pour se mettre à l’aise, ravalez votre « elle est dégueu » pour, par exemple, vous dire « comme sa toison pubienne est sensuelle ! », « comme ses longs poils sur les jambes lui tiendront chaud l’hiver ! », « comme ses dessous de bras ont l’air confortables et chaleureux ! ». Respectez celles et ceux qui n’ont pas qu’ça à faire que de se dépouiller de leur pelage.  
Et puis, si l’envie vous prend de vous pencher sur l’absurdité de cette déforestation, (re)découvrez sans complexe le plaisir de la pilosité. Faites pas genre que c’est pour gagner en aérodynamisme dans l’eau de la piscine, ou pour que vos aisselles dorent plus aisément l’été sur la plage.

« Quel bel emblème que le poil ! Toujours disponible, enraciné dans le corps à de multiples exemplaires : étendard des cheveux, fanions des aisselles et, surtout, la toison ! Drapeau qui ne retranche pas l’homme dans un chauvinisme étroit mais au contraire exalte et affiche la diversité. Drapeau aux aspects variés, frisé, raide, ondulé, crépu, bouclé, fin, épais. Drapeau de tous poils, brun, roux, blond, châtain, poivre et sel ou drapeau blanc. Drapeau de paix ».


Allez, tous à poil et on se caresse. 

lundi 10 novembre 2014

Comme un voile noir sur le féminisme

                           
Je remercie particulièrement Estelle pour avoir fait la relecture et la mise en ligne de cet article.


            Pour savoir où commencer une lutte, il faut chercher les plus discrimé.e.s et les plus oublié.e.s. Où commence la Lutte Féministe? On pourrait penser aux prostituées, souvent des migrantes, violées en boucle sous la pression de leur passeur qui exige qu'elles remboursent l'exorbitante somme qu'a coûté leur illégale venue en France. Mais c'est une question visible et traitée en France, encore très récemment par l'assemblée nationale elle-même qui se demandait s'il fallait criminaliser ou non la prostitution. Si les prostituées elles-mêmes ne sont jamais entendues, elles ne sont "que" discriminées, pas oubliées.

On pourrait penser aux prisonnières. Mais si les conditions des francais.e.s en prison sont terribles et se dégradent sans cesse, les femmes n’y sont pas particulièrement discriminées. C'est toute la question carcérale qui est inexistante dans les débats sociétaux, tout le problème qui est oublié. Prisonnier comme prisonnière au même stade d'inexistence dans les questionnements nationaux.



            Alors qui? Pour moi, ce sont les musulmanes de France. Absentes du combat féministe, exclues même par une part du féminisme institutionnel qui considère dans une vision occidentalisante du féminisme qu'une femme voilée est nécessairement forcée à l'être, la Loi criminalise la croyance de ces femmes tandis que la société fait semblant de ne pas voir cette discrimination.

C'est là que la lutte féministe trouve un point de départ. Ce sont elles les femmes les plus soumises au poids du patriarcat, et le pire c'est qu'elles le sont souvent au nom du féminisme !
La question du voile est depuis longtemps au cœur des débats.

            D'abord, il faut reprendre ce qui a toujours été en France : le port de la Burqa dans le cadre public est interdit : tout contrôle d'identité oblige les personnes contrôlé.e.s à montrer leur visage. Le fait de camoufler son identité n'est pas foncièrement illégal (on peut se déguiser), mais sur demande de contrôle de Police, ou sur nécessité de s'assurer de l'identité de son client, rapport à la responsabilité d'une école qui rend des enfants à leurs parents par exemple, la règle est et a toujours été l’obligation de montrer son visage. Vous pouvez demander aux Camarades de la ZAD qui ont pris "dissimulation d'identité" en circonstances aggravantes dans leur condamnation. Donc la Burqa est illégale depuis toujours.
Le rajout d'une loi visant particulièrement les musulmanes portant la Burqa en France était donc inutile : d'un point de vue juridique tout existait déjà. Le seul intérêt de cette loi était d'en faire une déclaration politique, un coup de force médiatique contre l'"islamisation de la France".
En effet, par cette loi, on fait croire que ces femmes sont Légions, que c'est une pratique tellement répandue que dans la rue entre ces 300 femmes en Burqa on ne reconnait plus personne, etc... Ce mythe de l'islamisation de la France et de l'invasion arabe sert bien entendu un intérêt sécuritaire et un argumentaire politique particulier et sans fondement réel.



Néanmoins, derrière ces jeux de théâtre populaire pour instrumentaliser les Français "souchiens" contre une minorité, française aussi, musulmane, il y a une discrimination d'Etat à un niveau bien plus liberticide et bien loin des trois jolis mots inscrits sur notre bannière.

En effet, le port du hijab (voile dans les cheveux, ne cachant pas le visage mais seulement les cheveux à partir du front) est aussi criminalisé : interdit dans les emplois en relation avec des enfants, de fait interdit au travail puisqu'il est toléré qu'un employeur refuse quelqu'une pour port du voile, interdit pour les fonctionnaires...
Aussi bien les professeures que les femmes de ménages peuvent être renvoyées pour le seul motif de port du hijab, tandis que les lycéennes subissent elles aussi l'interdiction. 

Les motifs de ces persécutions nationales des femmes voilées? Ce qu'illes appellent le féminisme: Libérer la femme musulmane forcée par son méchant mari (presque Djihadiste n'est-ce pas, puisque musulman). Autrement dit, ces gens libéreraient des femmes en les forçant à ne pas porter un vêtement qu'elles souhaitent porter dans le cadre de leur religion.




Un paternalisme latent repeint à la touche féministe, voilà ce que sont ces lois et ces idées. Par cette vision, non seulement est dressé un portrait de machistes invétérés des hommes musulmans, ce qui est bien évidemment profondément raciste, une vision héritée directement de l'ère coloniale en fait; mais on fait aussi des femmes musulmanes des soumises, des femmes au foyer forcément mariées et enfermées dans une ambiance familiale musulmane pesante.
Mais dans quelle France vivent cette assemblée Nationale et ces citoyen.ne.s? Nos compatriotes musulmanes sont mariées a des musulmans, mais aussi à des Français athées, a des chrétiens pour certaines, à des femmes françaises, ou pas françaises, protestantes ou bouddhistes... Le stéréotype imaginaire du communautarisme musulman a-t-il tellement été diffusé et intégré que dans nos têtes une musulmane est une femme nécessairement mariée, qui plus est, épouse d'un musulman?



Cette vision est aussi absurde, débile, fausse, et surtout à vomir que la vision de la famille que propose la Manif Pour Tous avec son idée de la famille blanche hétéro franco française.

Je ne prétends pas qu'il n'y a pas en France de couple de musulman.e.s, qu'il n'y a pas en France de femmes battues, de femmes dont le style vestimentaire et l'attitude sont dictés par le mari. Tout cela existe.
Mais ces femmes sont autant les épouses de maris blanc que noirs, d'épouses camionneuses que de maris banquiers, de vieux cons agriculteurs que de jeunes chercheuses doctorantes.
Tous les féminismes parqués dans une vision culturelle, raciale, communautaire... Le sont dans un intérêt politique qui n'est pas d'émanciper les femmes de l'oppression millénaire du patriarcat.





En quoi ceci est un point de départ? Tout est dans la discrimination des femmes voilées. Par l'interdit du port du voile censé les aider, plus aucune de ces femmes n'a confiance dans les institutions. Résultat, une femme voilée qui serait battue ou violentée par son mari n'ira pas chercher d'aide puisque l'administration travaille contre elle, que la police l'interpelle dès qu'elle sort de chez elle, etc... Exclusion des femmes du champ politique du fait que l'on les perçoit comme inapte à penser par elles-mêmes : Voilà le paternalisme!

Les femmes voilées françaises ne peuvent pas travailler en respect avec leur religion. Autrement dit, les femmes mariées sont financièrement soumises à leur mari si elles souhaitent, ce qui est leur droit premier, être en respect avec leur vision de leur pratique religieuse. Dépendance des femmes envers les hommes par le biais financiers : Voilà le capitalisme!

Les femmes voilées françaises sont forcément hétérosexuelles, leur mari forcément musulmans, et donc oppressif et oppressant, etc... Voilà l'islamophobie!
  
Alors, que nous montre la situation dramatique des femmes musulmanes françaises à propos de la situation des femmes en général, mais aussi à propos de l'état du féminisme en France ?
Qu'il est grand temps de passer à un féminisme solidaire, de l'auto-émancipation, grand temps de détruire ce qui peut rester d'un féminisme qui se croit universalisant alors qu'il est circonstanciel et contextuel, grand temps de faire fermer leur grandes gueules a tous ces fachos qui sous couvert de féminisme réhabilitent une pratique coloniale et ethno-centrée.



Jamais le féminisme ne pourra être autre chose qu'une jolie présentation démago au sein d'un gouvernement qui met côte à côte un ministère des Droits des Femmes censé aider les femmes à s'émanciper et un Ministère de l'Intérieur qui les opprime et les fait traquer.

Qu'est-ce que ça peut faire que le Gouvernement soit paritaire quand les rues sont des terrains de chasse aux femmes françaises pour les fachos et la police? 

"Spéciale dédicace a toutes les femmes voilées" Tagada Jones dans la chanson Yec'hed mad (00:55)
https://www.youtube.com/watch?v=1yEipIOqF6o






PS:

Pour info: Cet article est tout sauf journalistique et professionnel, je n'ai l'audace que de tenter de vous exposer ma vision personnelle et intime de la question. Pour tout ce qui ne serait pas clair (ou disons encore moins clair que le reste), n'hésitez pas à me demander :). 






Notes et exemples en vrac: 
L'islamophobie en France est particulièrement puissante,  plus que chez la plupart de nos voisins qui comme nous ont une minorité musulmane dans leur pays. Je ne vous donnerai pas de chiffres car en réalité la majeure partie des agressions ne sont pas déclarées, étant donné que la Police est l'ennemi des classes populaires qui sont les plus touchées par ces agressions.

Pour l'anecdote, il y a eu dans mon école primaire la semaine suivant le vote de la Loi sur la Burqa dans l'espace publique une agression. Plusieurs mères issues de la communauté des gens du voyage (représentant environ la moitié des élèves de mon école) ont pris à parti une mère qui porte la burqa en lui disant qu'elle ne respecte plus la loi. Elles l'ont mise à nu en lui arrachant son voile et son haut au milieu de la cour. C'est une illustration parmi d'autres de la haine que cette loi voulait inciter.


Je ne citerais pas non plus, cette fois car elles sont trop nombreuses, toutes les agressions du type croix gammée sur des mosquées, sur des tombes, les phrases racistes et islamophobes prononcées par des politiques, les insultes et les regards dans la rue, etc.. qui créent une ambiance anxiogène et oppressante pour tous les musulmans.

Le Figaro mettant récemment un sondage pour savoir si les musulmans condamnent suffisamment l'État islamique, faisant un lien direct et ouvert entre religion musulman et terrorisme islamique, est l'islamophobie exacerbée la plus dérangeante depuis des très nombreuses années.


Chez nos voisins anglais, les professeures peuvent porter le hijab. Les médecins également. Les travailleuses qui n'ont pas de contact avec le public également. Chez nos voisins Norvégiens, dix mille personnes ont porté le hijab suite à l'arrachage du voile d'une jeune femme par des fascistes. Si ces pays ne sont pas parfaits, nous avons de loin une avance très grande sur le développement d'une haine d'Etat généralisée contre les musulman.e.s. 






Sources: Quelques exemples en passant d'articles variés sur le sujet,








Bien sûr parler à des femmes musulmanes est la meilleure des sources, mais malgré mes efforts, aucune d'elle n'a pu être simplifiée en 2D sur ce papier.

Corentin Castillo

mercredi 22 octobre 2014

Toutes les trente heures





295 féminicides en 2013 : toutes les trente heures, une femme est assassinée.
Par Daniela Dicipio


Traduction en français : Fanny Berlingen



Les statistiques ont été publiées le 6 mars à la suite d’une enquête réalisée par l’Observatoire des Féminicides en Argentine Adriana Marisel Zambrano*, pris en charge par l’Association Civile La Casa del Encuentro (litt. La Maison de la Rencontre) et présenté au Centre d’Information des Nations Unies pour l’Argentine et l’Uruguay (CINU). L’enquête a été basée sur les publications de 120 journaux nationaux et provinciaux. Des statistiques qui font bouillir de fureur car reflétant une réalité, bien qu’il soit évident que les chiffres augmenteraient s’il existait des données officielles.

Ce n’est pas la même chose de dire qu’une femme meurt, et qu’une femme est assassinée. Les termes sont souvent mal utilisés. Le mot « féminicide » est un concept politique : c’est la dénonciation de la banalisation que la société fait de la violence sexiste, c’est l’une des formes les plus extrêmes de violence contre les femmes, c’est un assassinat commis par un homme sur une femme qu’il considère comme sa propriété. « Il est indispensable de voir la violence sexiste comme une question politique, sociale, culturelle, et relative aux droits humains ; c’est comme cela que la situation grave vécue par les femmes, les petites filles et les petits garçons en Argentine pourra être vue comme une réalité collective vis à vis de laquelle il faut réagir immédiatement », dénoncent Fabiana Tuñez et Ada
Rico, responsables de l’organisation.

Ada Rico insiste : ces cas « ne sont pas que des chiffres, derrière chaque donnée il y a une femme qui n’est pas morte accidentellement mais qui a été assassinée par quelqu’un qui la considérait comme sa propriété. Derrière ces statistiques froides, il y a des femmes qui ne sont plus, des enfants qui ont perdu leur mère. Ce taux est malheureusement le plus haut en cinq ans, c’est pourquoi nous vous en prions : s’il vous plait, continuons à travailler ensemble, hommes et femmes, afin de changer cette réalité. »
La Casa del Encuentro a proposé un projet de modification du code civil pour supprimer l’autorité paternelle aux féminicides, afin que les enfants puissent avoir le droit de choisir avec qui ils souhaitent vivre.
Il est nécessaire que les médias commencent à relayer les informations en leur donnant l’importance qu’il se doit, et non comme de simples faits divers.


Toutes les trente heures, une femme est assassinée : c’est le taux le plus élevé de ces six dernières années.

  • 295 féminicides en 2013
  • 186 femmes assassinées par leur compagnon ou leur ex-compagnon
  • 112 femmes avaient entre 19 et 30 ans
  • 158 sont mortes chez elles
  • 11 étaient enceintes
  • 32 ont dénoncé leur assassin
  • 14 des meurtriers étaient soumis à une ordonnance restrictive
  • 83 femmes mortes par arme à feu, 64 poignardées, 37 sous les coups et 17 incinérées
  • 405 enfants orphelins après l’assassinat de leur mère
  • 30 féminicides liés entre eux

* Du nom d’une femme argentine assassinée en 2008 par son ex-compagnon, qui n’écopera que de 5 ans de prison pour homicide involontaire. (NDT)

Image : couverture du livre « Pour elles… 5 ans de recherche sur les féminicides » par l’Observatoire des Féminicides en Argentine Adriana Marisel Zambrano.


Entretien avec Ed Holton, jeune anglais féministe engagé pour HeForShe

Le 20 septembre 2014, Emma Watson est montée à la tribune des Nations Unies à New York pour prononcer un discours qui restera dans les annales. La puissance, la véracité et la clarté de son message ont permis de lancer la campagne HeForShe. Le principe devrait être simple, mais la nécessité d’une telle campagne est la preuve que non : l’objectif est de mobiliser la moitié de la population planétaire dans la défense de l’autre, de rassembler le maximum de garçons et d’hommes dans la dénonciation de l’inégalité des sexes.


Vous voulez savoir comment vous impliquer dans la campagne ? Voici le kit d'action de HeForShe, le mouvement de solidarité d’ONU Femmes pour l’égalité des sexes !

Les réactions au lancement de la campagne du discours de la jeune actrice britannique, désormais Ambassadrice de Bonne Volonté d’ONU Femmes, furent explosifs. Explosifs dans leur positivité, leur interactivité, leur soutien. Le hashtag #HeForShe explosa les compteurs de Twitter. Cependant, la mauvaise volonté et l’ignorance furent aussi présents dans les réactions, que ce soit via le re-retour des « Women Against Feminism » ou encore la pitoyable tentative d’un hacker de « leaker » des photos personnelles de l’actrice (#Fail). Face à l’incompréhension de certains, le manque d’empathie d’autres, c’est ensuite un jeune britannique de quinze ans qui est monté à la tribune, cette fois par une lettre adressée au Sunday Telegraph ; la maturité de ses propos est touchante, et donne espoir :



« Monsieur – J’ai regardé le discours d’Emma Watson à l’ONU et j’étais en accord avec tout ce qu’elle y a dit, c’est pourquoi je fus déçu par combien certains des autres garçons de ma classe (j’ai 15 ans et je suis élève à une école privée pour garçons) en étaient ignorants.


Nous avons la chance de vivre dans un pays occidental ou les femmes peuvent parler contre les stéréotypes. Le féminisme n’est pas la haine de l’homme ou la suprématie de la femme. C’est, par définition, le contraire. En vérité, c’est plutôt simple : si tu crois en l’égalité sociale, politique et économique des sexes, tu es féministe.

En utilisant des expressions telles que « viril » ou « chochotte », nous adhérons par inadvertance aux stéréotypes de genre. Nous jouons avec des jouets basés sur notre sexe, nous jouons différents sports en fonction de notre sexe, nous étudions souvent dans des écoles unisexes. Et pourtant il faut un certain effort pour que l’on reconnaisse l’existence de l’inégalité des sexes et de l’injustice que cela induit pour chacun des sexes.
Si nous voulons l’égalité, il faudra plus faire plus d’efforts que de payer les femmes autant que les hommes, ou leur assurer des opportunités égales. Nous devons tous prendre part dans la transformation de notre langage. Nous devons cesser de se mettre la pression à nous-mêmes pour se conformer aux stéréotypes qui plus que souvent nous refoulent et nous laissent sans capacité de s’exprimer. Nous ne devons laisser notre sexe nous définir."

Ed Holton





Sa lettre, à l’origine intitulée « If we really want equality » (« Si nous voulons vraiment l’Egalité »), est en réalité plus longue, et dénonce l’utilisation des adjectifs « féminin » et « masculin », car engendrant une coupure trop importante entre les sexes. Très tôt il y identifie le féminisme comme étant aussi le fait que la sexualité d’une femme lui appartienne à elle seule, autant que celle d’un homme lui appartienne à lui-même. En réponse à sa problématique, que faire si nous souhaitons véritablement l’égalité, il demande d’ignorer le sexe de l’individu, d’ignorer ses préférences sexuelles, de ne donner aucune importance au fait qu’un individu ne soit pas conforme aux stéréotypes, et surtout de ne pas chercher à s’y conformer soi-même.


Le message est aussi puissant, finalement, que celui d’Emma Watson, sa sincérité palpable et son bon-sens fait consensus : le Telegraph est le premier journal britannique de droite. C’est avec plaisir et modestie qu’il a accepté de répondre aux questions de l’Asso George Sand, voici la retranscription de l’interview :


Asso George Sand : Premièrement, merci, je n’aurai jamais eu le courage que vous avez, d’être aussi clair, concis et droit au but sur un sujet aussi important à l’âge de 15 ans. Pour commencer, pourriez-vous me dire comment vous vous êtes identifié en tant que féministe? Etait-ce une réalisation naturelle, une pensée, philosophie qui a grandi avec vous, ou y-a-t’il quelque-chose qui vous a lancé dans la réflexion féministe?


Ed Holton: Merci beaucoup ! Je n’ai même pas pensé que quelqu’un lirait ma lettre, alors la réaction a été vraiment époustouflante. Si j’y réfléchis, j’ai grandi dans une famille égalitaire, alors l’idée que les femmes ne devraient pas avoir les mêmes droits que les hommes, ou étaient vues de façon différente aux hommes, m’était étrange, mais je ne m’étais jamais vraiment posé la question jusqu’à ce que je visionne un extrait du discours de Chimamanda Ngozi Adichie “We Should All Be Feminists”. La chanson de Beyoncé“***Flawless”, puis le discours d’Emma Watson m’ont persuadé qu’il était juste que les hommes et les femmes se battent pour le féminisme.


AGS: Diriez-vous que les modèles et célébrités de notre génération sont aujourd’hui de plus en plus instrumentaux dans l’égalité entre l’homme et la femme ? Y a-t-il des cas contraires, des célébrités machistes ou antiféministes qui vous ont déjà énervés ?

EH : Oui bien sûr, internet et les réseaux sociaux permettent aujourd’hui plus que jamais d’influencer les gens. Si je vois une personne tenir des propos antiféministes, je n’essaierai pas à tout prix de me lancer dans un débat houleux, dire à quelqu’un qu’il a tout faux ne résout rien. Mais je pense qu’il est dommage que tellement de personnes influentes considèrent toujours le féminisme comme une forme de haine de l’homme.


AGS : Vous dites dans votre lettre que vous étudiez dans une école privée pour garçons et que vous avez été déçu par les réactions de certains de vos camarades – de quelle façon ? Avez-vous pu y voir une assimilation du féminisme à la haine de l’homme ?

EH: Je ne visais personne en particulier. Je disais plutôt qu’il existe une certaine ignorance envers l’égalité des genres lorsque l’on étudie dans une école unisexe.


AGS: Vous avez beaucoup parlé d’égalité des genres, de Gender Equality, dans votre lettre. En France, cette expression est devenue très polémique récemment. Dans votre lettre, pourtant, nous pouvons voir que vous croyez l’égalité des genres nécessaire, même indispensable, cruciale, dans notre société. Diriez-vous que certaines mesures éducatives devraient être mises en place pour y promouvoir l’égalité des genres ?

EH: Premièrement, il me semble important de noter que certaines matières ne sont pas proposées habituellement aux deux sexes. Même si cela ne serait pas populaire au début, je pense qu’il est important de laisser chacun choisir sa voie. Cependant, je demeure largement sous-qualifié pour proposer des politiques éducatives quant à la promotion de l’égalité des genres.


AGS: Vous remarquez que certaines matières ne sont pas proposées aux filles comme aux garçons – pourriez-vous me donner quelques exemples?

EH: Le sport, par exemple: le netball pour les garçons, le rugby pour les filles. Dans beaucoup d’écoles, les cours de technologies alimentaires ne sont pas offertes aux garçons, pourtant filles et garçons doivent apprendre à s’occuper d’eux-mêmes, car ce n’est ni le féminisme ni le sexisme qui t’aideront quand tu auras faim.


AGS: Donc vous dites que l’indépendance, le droit de choisir son propre chemin à suivre, est essentiel. Cela me semble une description adéquate du féminisme et de l’égalité des genres!

EH : Oui, exactement.


PSA